Recherche | Publié le 07 mars 2025
Dans le cadre de la sensibilisation au dépistage du cancer du sein, SUPMICROTECH et l’institut FEMTO-ST présentent CBRA, un soutien-gorge connecté innovant. Développé depuis 2019, ce dispositif vise à détecter précocement les anomalies mammaires grâce à des capteurs thermiques et des algorithmes d’intelligence artificielle. Ce projet pionnier, mené par une équipe pluridisciplinaire, s’inscrit dans la lutte contre le cancer du sein en proposant un dépistage non invasif, sans radiation, et accessible à une large population. Dans cet entretien, Zeina Al Masry, porteuse du projet, enseignante à SUPMICROTECH et chercheuse à l’Institut FEMTO-ST, revient sur la genèse du projet, ses avancées et son avenir prometteur.
Quelques informations sur le cancer du sein :
(Source : Panorama des Cancers en France Institut National du Cancer Edition 2023)
• Une femme sur huit développe un cancer du sein au cours de sa vie.
• Détecté tôt, le cancer du sein guérit dans 9 cas sur 10.
• Le cancer du sein est présent dans tous les pays du monde et touche des femmes de tous âges à partir de la puberté (le taux d’incidence s’accroît toutefois à mesure que l’âge avance).
• Le taux de survie a commencé à s’améliorer dans les années 1980 dans les pays mettant en œuvre des programmes de détection précoce associés à différentes modalités de traitement en vue d’éradiquer les maladies invasives.
Pouvez-vous nous expliquer comment a démarré le projet « CBRA» ?
Le projet du soutien-gorge connecté a débuté en 2019 dans le cadre du programme Interreg*, avec la collaboration de plusieurs partenaires dont le CSEM, un Centre suisse d'innovation technologique, l'hôpital Nord-Franche-Comté, ZTC technology, l'Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM) pour les aspects sociologiques, ainsi que SUPMICROTECH et FEMTO-ST. L’objectif était de développer un soutien-gorge équipé de deux technologies clés : l’impédance électrique et la thermographie, permettant de détecter les anomalies mammaires.
Ce projet de deux ans a donné lieu à une publication conjointe avec des sociologues, philosophes et professionnels de la santé sur l’acceptabilité de ce dispositif. Bien que le projet initial se soit achevé en 2020, SUPMICROTECH et FEMTO-ST ont décidé de poursuivre en se concentrant sur la technologie thermographique, ce qui a conduit à la naissance du « Bra Connect » fin 2020.
* Les projets Interreg sont des projets de coopération entre différents partenaires d'Etats membres de l'Union européenne.
En quoi l’aspect sociologique a-t-il influencé le projet ?
La dimension sociologique est primordiale dans ce projet. L'étude de l'acceptabilité du soutien-gorge par les patientes et les professionnels de santé nous a permis d’adapter la direction de nos recherches. Nous devons tenir compte des attentes des utilisateurs finaux pour garantir que notre technologie réponde à leurs besoins. Une technologie innovante n’a de sens que si elle est acceptée et utilisable dans la pratique quotidienne des soins.
Comment fonctionne le soutien-gorge connecté ?
Nous avons développé un premier prototype qui se présente comme un soutien-gorge de sport, équipé de capteurs de température reliés à des modèles d’apprentissage automatique. En 30 minutes, le dispositif analyse les variations thermiques pour détecter la présence d'anomalies dans les tissus mammaires. Si une anomalie est détectée, des indicateurs de localisation peuvent être fournis. Les essais cliniques ont débuté en 2022, impliquant environ 50 patientes dans deux centres : l’hôpital Nord-Franche-Comté et l’Institut de cancérologie Strasbourg Europe (ICANS).
Quels sont les résultats des essais cliniques en cours ?
Pour l’instant, les résultats sont encourageants, mais il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Nous continuons à travailler sur la caractérisation des anomalies détectées par les capteurs, et sur l'amélioration des modèles d’apprentissage automatique pour affiner les prédictions. Cela nous permet déjà de détecter des anomalies, mais des examens complémentaires restent nécessaires pour confirmer la nature exacte des anomalies détectées. Il s’agit d’un dispositif de détection et non de diagnostic.
Comment se positionne « CBRA » par rapport aux méthodes de dépistage existantes, comme la mammographie ?
Le soutien-gorge connecté n’a pas pour vocation de remplacer la mammographie, mais de la compléter. En France, la mammographie est recommandée à partir de 50 ans, mais notre objectif est de proposer une solution non invasive pour toucher plus de femmes. Le dispositif pourrait être utilisé par des professionnels de santé pour un dépistage précoce, offrant ainsi une alternative portable et sans radiation.
Comment le projet a-t-il pu voir le jour ?
Nous sommes les premiers en France à développer cette technologie, ce qui nous a conduit à rechercher des financements. Au départ, le projet souffrait d'un manque de moyens, mais grâce au soutien de SUPMICROTECH, de FEMTO-ST et de la Région, nous avons pu progresser. En 2023, nous avons reçu un financement de Grand Besançon Métropole pour soutenir une thèse portant sur la caractérisation et la modélisation des données des capteurs pour le cancer du sein. Ce travail permettra de raffiner nos algorithmes et d’approfondir nos recherches scientifiques.
Après le lancement des essais cliniques, nous avons déposé une demande de dépôt de brevet en collaboration avec la SATT Sayens. Le projet entre désormais dans une phase de maturation, dont l’objectif est de rendre le soutien-gorge accessible à toutes les morphologies. Cette phase est soutenue par un financement SAYENS de plusieurs milliers d’euros, obtenu après présentation à un comité d’investissement. Ce budget servira à financer des travaux, améliorer le prototype et recruter du personnel. Nous avons d’ailleurs recruté Clara Novelli, ingénieure SUPMICROTECH (µ2024) et Maroua Ribani.
L'objectif final est de transférer cette technologie, soit via la création d'une start-up, soit par l'intégration de la technologie dans une société intéressée à exploiter le brevet.
Pensez-vous créer votre propre entreprise pour ce projet ?
Mon travail actuel me passionne et j'ai d'autres projets en cours qui m’occuperont pour les 5 prochaines années. Cependant, je suis ouverte à toute opportunité afin de continuer à contribuer au développement du soutien-gorge connecté. Il faut également étudier les potentielles extensions de cette technologie.
Quelles sont les prochaines étapes pour le projet « Bra Connect » ?
La phase de maturation prendra environ deux ans. Nous espérons, d’ici là, avoir développé plusieurs tailles de soutien-gorge adaptées à différentes morphologies. En parallèle, les essais cliniques se poursuivent et nous travaillons également sur le développement scientifique. Le soutien des partenaires et des financeurs sera crucial pour continuer à faire avancer ce projet prometteur.
Pour en savoir plus :
- https://stm.cairn.info/revue-sante-publique-2021-4-page-473?lang=fr
- https://www.scitepress.org/Papers/2024/123094/123094.pdf
- https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2468718921001562
- https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/besancon/des-chercheurs-mettent-au-point-un-soutien-gorge-connecte-pour-detecter-demain-les-cancers-du-sein-3037469.html